Pour en finir avec le syndrome de l’imposteur

Le terme de « syndrome de l’imposteur » a été créé par Pauline R. Clance et Suzanne A. Imes, psychologues, en 1978. Elles l’utilisèrent pour qualifier un « doute maladif qui consiste essentiellement à nier la propriété de tout accomplissement personnel ». Ce syndrome est aussi appelé syndrome de l’autodidacte, phénomène de l’imposteur ou expérience de l’imposture. Loin d’être marginal, on estime aujourd’hui que 70% des personnes à l’échelle mondiale seraient touchées au cours de leur vie par ce syndrome. La crise du coronavirus a d’ailleurs révélé de nombreuses répercussions quant à ce sentiment d’imposture. Au Royaume-Unis, 85% des adultes actifs ont déclaré se sentir incompétents au travail depuis l’arrivée de la pandémie.

Le syndrome de l’imposteur est un sentiment d’incompétence ou de doute sur ses compétences, qui persiste quels que soient les succès scolaires et/ou professionnels obtenus par l’individu. 

Les personnes qui souffrent du syndrome de l’imposteur rejettent ou minimisent en permanence leur mérite et leurs réussites. Elles attribuent leurs succès à des éléments extérieurs comme la chance, leurs relations, un supérieur complaisant etc. Parfois cela s’accompagne de la peur tenace d’être un jour démasqué.e. Tout ceci entraine logiquement un appel constant à la surenchère de travail, au surpassement, qui n’est jamais suffisant pour contrecarrer ce trouble. À long terme, ce comportement favorise l’anxiété et la culpabilité et peut même parfois conduire à la dépression.

La psychologie individuelle n’est pas la seule explication à ce syndrome. Clance et Imes soulignent que ce syndrome est « fréquent chez les personnes qui connaissent une ascension sociale mais qui ont été, ou demeurent, victimes de mépris de classe ».
Oui, les facteurs environnementaux, socio-culturels, sont ici encore prééminents!
Ce qui explique pourquoi les femmes sont beaucoup plus touchées que les hommes par ce syndrome. (cf article du blog être une femme HPI) Dans leur ouvrage Le syndrome d’imposture : pourquoi les femmes manquent tant de confiance en elles ? Élisabeth Cadoche et Anne de Montarlot constatent que, d’après une étude publiée en 2018 par l’Université Cornell USA, « les hommes surestiment leurs capacités et leurs performances quand les femmes les sous-estiment ». Ce qui, dans une large part, est dû au poids de l’histoire et aux injonctions sociétales qui leur renvoient en permanence la question de leur légitimité. 

Si l’on fait la somme de ces différents éléments, on comprend rapidement pourquoi ce syndrome fait des ravages chez les HPI…
Je vous propose de décrypter ensemble les aspects psy et anthropologiques de ce syndrome de l’imposteur, puissamment ancré chez les Hauts Potentiels.

Côté psycho :

Selon Clance et Imes, il existe 4 comportements typiques du syndrome de l’imposteur : 

• Rapidité et travail acharné : la personne souffrant du syndrome de l’imposteur travaille sans relâche par crainte d’être découverte comme escroc. Elle essaie donc constamment de rattraper ce (faux) retard intellectuel, lié à sa perception de l’écart entre son intellect et celui vu par autrui. Un cercle vicieux se crée. Lequel, engendré par la peur d’être démasqué.e, conduit à une surenchère de travail, dans le but d’obtenir la reconnaissance de ses supérieurs. Reconnaissance en laquelle la personne sera sujette à ne pas croire… Ce fonctionnement fait le lit de l’épuisement et du burn out, auxquels les HPi sont, hélas, d’excellents candidats. Le syndrome de l’imposteur est pour une bonne part dans cette terrible course en avance dont il faut se prémunir. 

• Sentiment de porter un masque : la personne ne parle pas de ses sentiments ou ne partage pas ses idées. Elle dit ce qu’elle croit que ses supérieurs ou camarades veulent entendre. Elle soutient les idées d’une autre personne et minimise ses propres capacités. Tout ceci dans le but de ne pas être critiquée ou détestée en se montrant compréhensive et agréable. Si l’on ajoute à cela la présence d’un faux-self important, il devient quasiment impossible de baisser le masque.

• Gagner la faveur de ses supérieurs. L’imposteur veut être reconnu par ses professeurs ou ses supérieurs. Il veut obtenir soutien et réconfort sur ses capacités, dans l’espoir que cela l’aide à prendre confiance en lui. Puis, souvent, il va remettre en question ces mêmes capacités en pensant que la reconnaissance reçue est le fruit non pas de son intelligence ou de ses compétences, mais de son charme, sa gentillesse, sa disponibilité, bref, elle est issue de mauvaises raisons. 

 • Éviter de faire preuve de confiance en soi. Car la modestie est la meilleure attitude à adopter pour un imposteur. Si la personne souffrant du syndrome évite de montrer sa confiance en soi, personne ne pourra la défier sur son intellect ou ses idées. Il s’agit ici de ne pas briller et surtout d’éviter les conflits et les confrontations. Ce que la plupart des HPI fuit.

Côté Anthropologie :  

Notre société a une grande part de responsabilité dans l’apparition de ce syndrome, en valorisant sans cesse dès l’école les « valeurs » d’individualisme, de compétition, de performance ou de comparaison.
La personne à Haut Potentiel fonctionne à l’inverse le plus souvent, préférant le mode collaboration, le succès du projet ou de son équipe à son succès personnel. Elle a le goût du défi mais ne possède pas l’esprit de compétition. Dans la société qui est la nôtre, nous devons, afin d’être « heureux », être les meilleurs, les plus riches, les plus socialement admirés. Autant de caractéristiques qui, souvent, ne font pas sens pour les personnes à Haut Potentiel. A cela s’ajoute la prédominance médiatique et civile de ceux que nous nommons des « experts », quand les HPI, autodidactes par excellence, cumulent un nombre impressionnant de savoirs sans jamais se sentir experts en quoi que ce soit. Ce diktat social pèse sur tous les individus mais encore plus sur les HPI, qui ne voient que l’étendue des connaissances non acquises et non pas la somme de leurs compétences. Difficile dans ces conditions de gonfler une estime de soi souvent fragile et une confiance en soi défaillante. 

Un autre point essentiel est la variabilité professionnelle des HPI. Ils s’ennuient rapidement, aiment apprendre, découvrir, être challengé. Alors, souvent, ils changent d’entreprise, voire de métier. Parfois ils en cumulent plusieurs ! En France, aujourd’hui encore et même si les choses tendent à changer, ce goût pour la nouveauté n’est absolument pas valorisé. Au contraire, il est taxé d’instabilité. Dès son plus jeune âge on inculque à l’enfant la culture d’un métier. Métier qu’il doit choisir avec sérieux, puisqu’il le fera toute sa vie et le définira socialement. La pression est immense, dès le lycée avec le choix des spécialités en vue des études supérieures, voire dès le collège, avec une orientation en filière pro plus souvent subie que choisie. Nous sommes dans une période de bouleversements sociaux et écologiques fondamentaux et inédits, mais nous continuons de demander à des adolescents de 16 ans ou moins de décider de l’intégralité de leur vie future. Cela est valable pour tous les individus. Mais la pression est accrue chez l’adolescent.e HPI qui souvent aime les maths et la philo, voudrait devenir océanographe et prof d’Histoire. Comment ne pas se sentir décalé.e et en situation d’imposture lorsqu’on est étudiant.e dans une école prestigieuse de Design et que l’on rêve en même temps de vivre à la campagne en autogestion, ou que l’on sort d’une Ecole d’ingénieurs et que l’on rêve de travailler dans le cinéma ?

Les stéréotypes de genre s’expriment avec violence dans le syndrome de l’imposteur.
Car ce que nous n’avons pas écrit en début d’article, c’est, qu’à l’origine, l’étude de Clance et Imes ne portait que sur des Femmes. Nous sommes en 1978 et non au Moyen-Âge et pourtant, leur croyance au départ était que seules les femmes ayant une vie professionnelle étaient concernées par ce phénomène… Des recherches ultérieures ont montré que le syndrome de l’imposteur affecte les deux sexes. Cependant, les femmes restent plus souvent concernées que les hommes. Non pas en raison d’obscures et absconses explications biologiques, mais du fait de leur éducation et des stéréotypes de genre qui les portent à remettre en permanence en question leur compétence ou leur légitimité. 

© Blog de Mathilde

Voir ICI le témoignage de Maud Navarre journaliste à Sciences Humaines. Ou lire Valerie Young : The Secret Thoughts of Successful Women : Why Capable People Suffer from the Impostor Syndrome and How to Thrive in Spite of It – 2011

A la lecture de cet article vous aurez compris que tenter d’en faire toujours plus pour combattre le syndrome de l’imposteur ne fera pas cesser le trouble. Au contraire, cela alimente un infernal cercle vicieux. Pour le briser, il faut comprendre les ressorts inconscients qui sont à l’œuvre et cheminer sur la connaissance de soi. Travailler sur l’estime de soi, la confiance en soi, la conscience de ses talents et savoirs, l’assertivité. Ces thèmes sont des motifs récurrents de consultation au cabinet. Devenu conscient et maîtrisé, accolé à votre potentiel, ce syndrome peut devenir un atout dans le monde professionnel.
Parce que vous êtes plus investi.e, donc plus performant.e.
Parce que le doute vous fait sans cesse progresser et acquérir de nouvelles connaissances.
Parce que vous savez collaborer et aller chercher la solution lorsque vous ne la connaissez pas au lieu de laisser couler comme d’autres le font.
Parce que vos émotions apprivoisées peuvent se transformer en critères de décision et en leviers d’action.
Et pour 1000 autres raisons encore.
Récemment des études menées aux USA ont montré que ce sont ceux qui ont le moins confiance en eux qui sont les mieux évalués par leurs supérieurs. Alors pour terminer cet article, restons aux Etats-Unis qui engendrent des champions de la confiance en soi, je vous propose de méditer sur cette expression : Fake it until you make it !

Pour aller plus loin sur Les différents types de syndrome de l’imposteur

Olivia GémainPour en finir avec le syndrome de l’imposteur